Liliane, 80 ans

«Quand j’étais plus jeune, je me disais que j’avais le temps, que tout viendrait plus tard et finalement...»

Depuis combien de temps vivez-vous dans les Marolles ?

Ça fait plus de 50 ans que je vis dans les Marolles. À l’âge de 15 ans, je me suis occupée de ma mère malade, elle avait 35 ans à l’époque. Comme je travaillais à domicile, j’étais près d’elle et je n’avais pas besoin de la placer. Je suis née pendant la guerre, elle ne pouvait pas me nourrir. J’ai été en pension de mes 2 ans à mes 12 ans. Et après je suis retournée chez elle et je me suis occupée de mon frère. J’avais 29 ans quand je suis arrivée ici. J’y suis très bien, je connais tout le monde et tout le monde me connaît. J’ai de très bons contacts avec tous les voisins. Je ne suis pas du tout coupée du monde.

Comment s’est passé le confinement ?

Personnellement, j’ai bien vécu le confinement. Mais, en revanche, ce que j’ai ressenti ces derniers temps, ce sont des angoisses la nuit alors que je n’ai aucun problème. Les angoisses, ce sont des pensées qui viennent quand on se réveille. C’est récent, j’ai été chez le neurologue et elle m’a conseillé un calmant, mais sinon je n’ai pas de problème. Je ne sais pas si c’est lié au covid ou à autre chose. J’ai des amis qui sont contre les vaccins et c’est démoralisant. Moi j’ai fait tous mes vaccins, mais quand vous écoutez tout ce qu’on vous envoie, vous vous dites que vous avez fait ça pour rien, et même si c’est vrai, c’est par précaution. J’ai dû leur dire d’arrêter de m’envoyer des messages et des articles sur les vaccins. Je suis vaccinée moi, j’ai eu peur avec tout ce qu’on lit. J’ai fait des insomnies et des crises d’angoisse. Je suis assez âgée pour savoir ce que je peux faire ou pas.

Comment vous êtes- vous occupée ?

Je suis couturière de formation et je rends service aux voisins. Pendant le covid, j’ai fait beaucoup de masques pour les gens aux alentours, pour l’hôpital Saint-Pierre, pour un home aussi. Je vais avoir 80 ans cette année-ci, je dois encore travailler le cerveau. Je fais les retouches de tout le monde, mais gratuitement. Je n’ai pas besoin d’argent surtout que dans le quartier les gens n’ont pas grand-chose. Je vais aussi beaucoup sur Internet. Je ne me sens pas isolée comme ça. Les deux confinements, j’ai été active. J’aime rendre des services, j’ai toujours été comme ça. Dès que je peux, je le fais. Quand j’avais encore la voiture, j’allais faire les courses avec les voisins qui en avaient besoin. Je n’étais pas isolée. Il y a mes voisins et Soulaika et puis mon frère. Et on a commencé des groupes WhatsApp et Internet. C’est mon neveu qui m’a appris à me servir de mon ordinateur et maintenant j’aide les amis avec les scans, les mails. J’ai des amis qui m’appellent et qui me disent : « Liliane je dois envoyer un mail, mais je ne sais pas comment on fait » et je leur dis viens à la maison on fait ça ensemble et voilà ! Et puis moi, je trouvais ça agréable les rues vides. Il n’y a plus de bruit. Et la nourriture on en trouve partout. J’ai aussi acheté sur Internet certaines choses. Mais bon je me suis fait avoir une fois, du coup je n’achète plus. Il y a certaines choses superflues qu’on ne pouvait pas avoir. La nourriture ça allait, mais le reste c’est du luxe, on n’en a pas vraiment besoin, donc ça ne me manque pas vraiment non plus. Et en plus, j’ai le pass [pass-covid] donc je peux aller au restaurant. Avec l’ordinateur, je scanne pour les uns et les autres, j’envoie des mails. Je dis à mes amis de m’appeler en cas de problème, parce qu’il y a toujours une solution à chaque problème, c’est ce que la vie m’a appris.

Et la santé dans tout ça ?

Je n’ai pas ressenti les confinements. Je pense que mes angoisses sont dues à des connaissances qui m’ont envoyé des articles angoissants. Personne n’est parfait, mais je fais ce que je peux. Quoi, on va faire un vaccin tous les trois mois ? Ça, ça m’ennuie. J’attends qu’ils fassent le vaccin pour l’année comme avec la grippe. Mais je l’ai quand même fait, je prends le risque. Je voulais le faire juste parce qu’il n’y a qu’une dose. Du coup, j’ai fait le Johnson et Johnson et je n’ai rien eu. J’ai eu de la chance. Je ne voulais pas faire plusieurs doses de vaccins. C’est mon neveu qui m’a conseillé de me vacciner parce qu’il avait peur pour moi. J’ai attendu une année avant de me faire vacciner parce qu’en fin 2019, j’ai attrapé le covid. À ce moment-là, on ne savait pas encore ce que c’était. J’avais de la fièvre, plus de force pour marcher. Le docteur m’a soigné comme une grippe. Ma voisine m’a dit de prendre de la vitamine C en poudre et je suis remontée comme une balle, mais j’ai gardé quand même des séquelles. J’ai difficile à marcher et je suis beaucoup plus vite essoufflée. Comme je suis diabétique, je l’ai ressenti. En une semaine, j’ai perdu dix kilos. Je ne souhaite ça à personne. Mon frère m’a beaucoup aidé. Et petit à petit je me suis remise. Monter les rues c’est compliqué, mais Soulaika s’occupe de mes courses.

Et sinon, quelques difficultés ?

Le seul truc que je regrette de ne pas avoir eu pendant le confinement, c’est la voiture. Si je gagne au Lotto j’en achète une. J’ai vendu la mienne avant le confinement et c’est de plus en plus important d’en avoir une, c’est pratique. Maintenant, je prends les taxis. C’est une forme d’indépendance, la voiture. Mais bon les taxis c’est bien aussi, j’ai les chèques.

Avec le confinement, pas de problème. Par contre, le problème, c’est la mutuelle : pas moyen d’envoyer des mails, tout est bloqué. Ça fait plus de trois mois que j’ai envoyé le papier de ma dentiste. Ça traine, j’ai dû demander à Soulaika de l’envoyer par la poste. Et puis ils ont dit que le document n’est pas valable. Du coup je rappelle mon médecin, mais elle me dit qu’elle ne peut pas faire un nouveau papier. Et tout ça sans mail. Ils ont bloqué leur boîte mail à cause des demandes, ils en ont trop.

C’est tout ce qui a été administratif qui a été un problème pendant le confinement. Tout est au ralenti. On doit tout faire par Internet, mais ce n’est pas toujours idéal. Ils peuvent tout bloquer et on ne peut plus rien faire. C’est une catastrophe, la mutuelle. Mais j’ai reçu des lettres d’excuses après aussi, je veux bien comprendre moi.

Il faut vivre au jour le jour et profiter de chaque jour. Quand j’étais plus jeune, je me disais que j’avais le temps, que tout viendrait plus tard et finalement j’ai dû me responsabiliser et du coup je n’ai rien pu faire de ce que je voulais, finir l’école de couture, me marier, avoir une petite fille ou un petit garçon. Rien n’a été dans le bon sens, mais ma vieillesse est tranquille.