En février 2021, à la sortie de l’hiver, Zoom Seniors a fait le constat, qu’au cœur de la crise, la voix des personnes âgées n’était pas entendue.

Les personnes âgées sont les personnes les plus expérimentées de notre société. Certaines ont connu des guerres, d’autres des révolutions. Certaines ont connu des drames intimes et d’autres un succès époustouflant. Parfois, tout cela à la fois.

En situation de tension et de doutes, il est évident qu’elles ont des choses à nous transmettre sur la manière d’affronter le présent, ou de le laisser passer.

Ces témoignages ont été recueilli en collaboration avec Julien Gastelo, socio-anthropologue et une équipe de sociologues et d’anthropologues, Jessica Pypin, Camille de Thibaut et Anna Charpentier.

Du côté des Marolles, les entretiens sont rendus sous forme de texte par Anna Charpentier, du côté du quartier Bosnie, des portraits photos sont réalisés par Jessica Pypin, et  du côté d’Anneessens ce sont des podcasts qui sont réalisés par Camille de Thibault.

Nous avons demandé à Julien Gastelo d’en tirer une analyse globale. 

Zoje, André, Lilianne, Balbina, Inès, Manuela, Manoli, Maria José, Raphael, Thérèse, Dominique nous vous écoutons.

Bonne lecture, bon regard sur les photos, bonne écoute !

Stalingrad et Anneessens sont deux quartiers du centre de Bruxelles. Ils sont situés à l’ouest du cœur historique, à l’est de l’axe de circulation du Boulevard de l’Abattoir et au nord de la voie ferrée qui traverse la ville. Principal point d’entrée de Bruxelles depuis la Gare du Midi, ces deux quartiers populaires sont caractérisés par la densité de leur population, leur diversité culturelle, notamment marocaine, et un ancrage historique en construction.

A l’image des travaux en profondeur de la ligne 3 du métro le long de l’Avenue Stalingrad, ces territoires nous ont paru fracturés pendant cette période de pandémie. Nos interlocuteurs mettaient l’accent sur la fermeture des associations, et un sentiment d’isolement se dégageait davantage que dans les deux autres quartiers explorés. Il nous a été également plus difficile de rencontrer des personnes âgées isolées, mais il nous a surtout été impossible de nous mettre en contact avec des personnes âgées isolées d’origine maghrébine, alors que telle était notre ambition, notamment à la suite de la rencontre d’Anas.

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Dans le bas de Saint-Gilles à Bruxelles, Hispano Belga lutte entre autres contre l’isolement des personnes âgées. Lors de sa fondation en 1964, l’association accueillait les familles de travailleur·euse·s espagnol·e·s à leur arrivée en Belgique. En 1990, le groupe des seniors est créé. Dans la salle paroissiale, des cours de chant, de gymnastique douce, de danse, des jeux de société ainsi que des cours de français et espagnol sont notamment proposés.

Au cours de l’automne 2021, María José Cano et María Luz Higuera nous ont accueillies dans leurs bureaux. Ces actrices associatives volontaires à l’énergie débordante n’ont eu d’autre choix que de s’adapter aux conditions imposées par la crise sanitaire en s’efforçant d’imaginer de nouvelles façons d’agir pour rester au plus près de leurs nombreux·ses membres isolé·e·s. Malgré la fermeture forcée de ses locaux et l’arrêt de la plupart des activités, Hispano Belga n’a cessé de poursuivre sa mission auprès des seniors en leur apportant d’abord un soutien quotidien à distance, essentiellement par téléphone, ensuite en faisant du porte à porte.

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Comunidad
entraide

Faisant partie des quartiers les plus anciens de la ville de Bruxelles, l’histoire des Marolles est empreinte de résistance, de résilience et d’entraide. Quartier le plus pauvre de la ville de Bruxelles1, les Marolles ont, historiquement, toujours accueilli une population défavorisée, et ce depuis son établissement. 

Mais il est également connu pour son réseau associatif dense. Plus d’une centaine d’associations cohabitent et offrent des services variés aux différentes populations habitant les Marolles2. L’Entr’Aide des Marolles, implantée depuis 1931 dans le quartier3 , en est le parfait exemple. Cette ASBL dispose de différents services sociaux avec des offres adaptées aux différents profils des habitants. La diversité de l’offre est le signe, d’une part, de l’hétérogénéité du quartier et de ses habitants, mais également du sens accordé à la solidarité dans les Marolles.

Le confinement ayant mis un frein à diverses initiatives sociales et culturelles, touchant également la vitalité qui règne normalement dans le quartier des Marolles. Que se passe-t-il alors derrière les murs ?

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Balbina

Balbina y su virgencita,
89 ans

« J’ai toujours ma vierge dans ma poche, elle me protège. Elle me donne de la force. Je n’ai pas peur du virus. Je vais te dire une chose, nous avons tous un destin. Si quelque chose doit t’arriver, ça t’arrivera. »

Du haut de ses 89 ans, Balbina ne s’arrête jamais. Très présente pour ses enfants et petits-enfants, elle trouve toujours de quoi s’occuper et affectionne particulièrement son foyer. La télévision et les tâches (lessives, repassage, couture, cuisine) qu’elle réalise pour sa famille ont rythmé ses journées pendant les confinements et lui ont permis d’échapper à l’ennui et à la solitude. 

Née en Espagne en 1932, Balbina a vécu la Guerre Civile Espagnole, s’est occupée d’orphelin·e·s de guerre de ses 14 à 22 ans. Marquée par une vie de privation, elle a puisé dans son vécu et sa foi pour faire face à la pandémie. Sa vierge du Perpétuel Secours l’accompagne toujours.

Inès la dure à cuire,
68 ans

« Sans doute que mon caractère m’a fait tenir, on ne peut pas me diriger par la peur. ll y a des gens qui sont tombés en dépression, ce n’est pas mon style. Mon grand-père était anarchiste, il doit y avoir quelque chose dans les gènes… »

Inès n’a plus de famille et vit seule depuis plusieurs années dans son appartement situé au rez-de-chaussée d’une petite maison. Pensionnée depuis 3 ans, Inès était employée de bureau. Depuis qu’elle ne travaille plus, elle se rend régulièrement à Hispano Belga où elle dit avoir rencontré des personnes très inspirantes. Grâce à sa force de caractère et son réseau d’ami.e.s, elle a vécu l’isolement sans grande difficulté.

Très attachée à son chat, elle nous a confié avoir pris exemple sur lui pendant les confinements en prenant du temps pour elle et pour revoir des films qui l’ont marqué à différentes étapes de sa vie.

Ines
Manuela

L’évasion colorée de Manuela,
80 ans

« Avec la pandémie, mes petites-filles ont commencé à m’apporter des carnets de dessins et des crayons. J’aime beaucoup ça, ça m’aide à passer le temps. Je m’asseyais tous les jours ici à table près de la fenêtre pour dessiner jusqu’à 14 heures environ. » 

Manuela a commencé à travailler à l’âge de 8 ans pour aider sa famille. Lorsqu’elle arrive en Belgique âgée de 22 ans, accompagnée de son fils de 7 mois et enceinte de 3 mois, elle ne sait ni lire ni écrire. Elle assiste aux cours d’espagnol donnés par María José depuis qu’elle a découvert l’association il y a 12 ans suite au décès de son mari. 

Manuela vit seule dans sa maison saint-gilloise achetée il y a une quarantaine d’années. Sa santé fragile et la peur d’attraper le virus l’ont poussé à rester enfermée chez elle pendant plus d’un an. Elle s’est alors réfugiée dans le coloriage afin de vivre sa solitude plus sereinement et alléger la peine de ces journées passées à la maison. La détérioration de l’état de sa santé physique a renforcé sa réclusion et a entraîné des fragilités psychiques et une honte vis-à-vis des autres membres de l’association qu’elle ne fréquente presque plus depuis la pandémie : « Tout mon corps me fait mal. Je vois les choses différemment depuis la pandémie. J’allais beaucoup à l’association, je chantais, je faisais de la gymnastique, j’allais partout avec eux. Maintenant j’ai l’impression que les gens me regardent parce que je suis assise là. J’arrive, je m’assieds et je me lève juste pour sortir, parfois je ne me lève même pas pour aller aux toilettes. Je me sens mal. Je n’y vais presque plus ».

Les mouvements d’aiguilles de Manoli, 90 ans

« Je suis resté enfermé chez moi pendant un long moment. Pour passer le temps, je tricotais toute la journée en regardant la télé. »

Entourée par ses photos de famille et ses pelotes de laine, Manoli vit depuis une quarantaine d’années dans son petit appartement près de la Chaussée de Forêt.

Pendant les confinements, Manoli a transformé l’ennui en se mettant au service des autres et d’elle-même. Elle aime prendre soin de sa maison et accorde une attention particulière à son hygiène de vie. Le tricot l’a accompagné pendant toute la pandémie, elle offrait ensuite ses créations à sa famille ou à celleux dans le besoin.

Manoli
Maria José

La positive energy de María José

« L’impuissance, ce serait le titre. Au début, je ne savais pas comment les aider. La pandémie a représenté beaucoup plus de travail pour nous. Mais même si c’était fatiguant, c’était du plaisir, je ne pouvais pas rester enfermée chez moi. Je l’ai vu un peu comme un défi, il fallait aller encore plus loin et s’adapter. »

María José est volontaire depuis 16 ans à Hispano Belga et est l’une des responsables du groupe seniors. Son franc parler et son énergie qui semble inépuisable ne laisse pas indifférent·e. Le premier confinement a été extrêmement pénible pour elle qui n’arrive pas à rester en place et qui a développé des relations très étroites avec les membres de l’association. « Nous travaillons ensemble depuis des années. Dès qu’ils ont un problème c’est chez nous qu’ils viennent, nous sommes très proches. C’était dur d’être séparés. »

Gestelo

Présentation du projet

L’idée de ce travail documentaire est née en mai 2021, soit 15 mois après le décret d’application du premier confinement. A un moment où la première campagne de vaccination battait son plein. Nous pensions alors que la pandémie était derrière nous, et que le temps était venu de documenter le vécu d’une catégorie de personnes significatives, particulièrement exposées aux risques sanitaires et dont les médias ne parlaient qu’à la marge, les personnes âgées isolées.

 Nos questions de départ étaient les suivantes:

  • Comment les personnes âgées isolées ont-elles vécues la pandémie et ses différentes phases?
  • Quels impacts positifs ou négatifs a eu la pandémie sur leurs vies?
  • Quels sont les facteurs qui ont provoqué une dégradation de leur état de santé physique, mental ou de leur vie sociale? 
  • Au contraire, quels sont les déterminants individuels ou sociaux qui leur ont permis de résister à cette agression, ou même, à faire preuve de résilience?
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